OPUS CAEMENTICIUM
Chantier de Tolbiac
« Ce transfert d’espèces, l’essayage des apparences sur le mannequin de choses, se réclame du chantier. Outreau ou Tolbiac : une séquence de peintures au format rectangulaire en ruban rappelle l’agenda d’un travail quotidien : un chantier pour montrer un chantier ? Serait-ce une simple métaphore, elle ferait sens. A la vérité il s’agit de tout autre chose, de saisir le moment pictural au point d’intensité où les transformations de la ville, l’ouvrage d’architecture, l’usinage, et l’opération de peinture jouent tangentiellement leur partie dans le commerce du visible. Gare de Tolbiac, apprentissage de New-York, fournaise d’une aciérie, déménagement d’un musée, il s’agit de capter un éclat de sens immanent à ces lieux marginaux. Des éclairages hautement artificiels – projecteurs, lampes à arc, chalumeaux, haut fourneaux, fumées d’incinérateur sur un ciel plombé – sont repris sur les casques, les brassards, les lampes frontales, les jambages des grues, les gilets de protection, les visages, les regards, et engagés dans le désir inassouvi de produire le spectre incandescent du visible. Le tintamarre de la ferraille, comme la clochette de Monsieur Swann reprise en un quatuor d’adjectifs, est ici une musique concrète qui aurait trouvé sa partition visuelle. Une bande de rouge, un ton au-dessus du rouge – chantier, grue ou palissade par quoi ces ‘travaux publics’ tiennent le passant à distance, soulignent d’une dissonance la relève picturale. Une stabilisation de pure peinture signe le transfert, que confirme l’horizontale de la signature – graphisme rouge Angelico. »
© Claude Imbert, Du simulacre des choses au réel de la peinture, extrait, catalogue d’exposition, CIAC, Ed. de l’Ormaie, Carros, 2011