Vagabondage dans ce que la ville a d'infra-humain, ou peut-être, si l'on en croit le titre de la toile, de surhumain. Le métro de New York, avec ses rats, sa crasse et sa poussière, ne peut-il légitimement se réclamer l'emblème de ce monde que l'homme ne cesse de bâtir et qui semble malgré tout laissé à l'abandon ? Comme l’écrivait Susan Sontag en 1977, dans cet enfer urbain apparait au flâneur moderne le pictural par excellence. Un peintre peut-il chercher autre chose ? Les errances au travers de la ville sont centrales dans le processus créatif de Caroline Challan Belval. Comme si le motif, au détour d'une rue, la choisissait. Mais cette fulgurance ne doit pas masquer la lente élaboration des toiles, avançant pas à pas jusqu'au moment où tout tombe juste.
Car Subway frappe avant tout par sa structure, le plafond répondant exactement au quai, tous deux s'ouvrant sur la rame vide. La bande jaune horizontale est là pour en marquer la limite. Deux bandeaux noirs, frêles poutres de métal noircies par la pollution, divisent la toile et semblent la soutenir à eux-seuls. L'autre verticale à gauche, rouge et grise, semble à l'inverse n'être que décorative. Elle ne soutient rien. Plus que rythmer l'espace pictural, elle vient donner la mesure de l'espace figuré. Elle offre à l'ensemble sa profondeur, de même que le discret élément oblique qui la jouxte au niveau du plafond esquissant une ligne de fuite à la manière des couteaux reposant de biais sur les tables des natures-mortes flamandes.
Les scènes urbaines de Challan Belval s'imposent avec une évidence quasi naturelle. Un lieu, saisi dans ce que l'on pourrait appeler à la suite de Cartier-Bresson, l'instant décisif. Cet instant est celui où passe une lumière. Subway est à cet égard un exemple de choix : la lumière blême des néons – si chère à l'artiste – se voit confrontée à un surgissement rouge vif au centre du tableau. Tissu ou plastique barrant le passage pour de quelconques travaux, la couleur renvoie tant au rouge sang qui borde le poteau en avant de la scène qu'aux légères teintes qui irisent le néon de la partie supérieure droite. La lumière blafarde qui habite d'ordinaire le métro new-yorkais prend ici une dimension subtilement flamboyante, comme si un soleil rasant venait frapper quelques coins de toile. Dans ce métro morne et froid, Challan Belval réussit à réchauffer notre regard.
Texte écrit pour le catalogue de l’exposition Caroline Challan Belval, On n'aura jamais fini d'épuiser les apparences, CIAC, Carros, 2011-2012.
© Morgan Labar