Qu’y a-t-il de commun entre la représentation picturale du monde dantesque des ouvriers de la fonderie d’Outreau et le déroulé cinétique d’une section du métro new-yorkais ? Les entrailles gorgées de pièces de viande en attente du Meatpacking district de la même ville et le chantier hivernal et glacé de la gare de Tolbiac ?
Quels liens se tissent entre les saisissants tirages argentiques immortalisant des moulages de rois, de princesses, de déesses ou de bestiaire, hurlant à l’agonie, étouffant dans leur linceul de plastique le temps d’une rénovation du musée des Monuments français et l’Eve d’Autun revisitée, cristalline et fluide, belle comme une source de jouvence intarissable ?
Quel rapport entre la sphère des bâtisseurs, associée à la projection du ciel vu par le satellite Planck et le globe céleste gravé de Coronelli au XVIIe siècle destiné à Louis XIV ?
De simples prétextes à faire de l’art au quotidien ? Les variations sur un même thème sont par trop récurrentes pour n’y voir que de simples sujets esthétiques.
Une fascination pour les marges de la ville ou le marginal ? pourquoi pas, mais C C-B n’en fait pas une condition. C’est plutôt sa réactivité irrépressible à toute sollicitation, qui l’entraîne à s’en saisir.
Un besoin de rencontrer, pénétrer, tourner autour de la matière brute ? Certainement, pour assouvir sa curiosité sur l’origine des choses, mais aussi pour, au fils des transpositions guidées par une sensibilité épidermique, délivrer les richesses scellées dans la matière.
Mais il est un dénominateur commun sans doute majeur à ces sujets en apparence éclectiques : l’incommunicabilité. Une incommunicabilité du fait du vacarme ambiant, de la démesure, de l’enfouissement, du chaos, de l’enfermement, du temps, de la distance, des années-lumière. Cela, C C-B ne l’accepte pas.
En se saisissant de ces thèmes mutiques, C C-B relève le défi de réinstaurer la communication entre les êtres et les choses. Forte de l’étendue des modes de représentation qu’elle convoque, (photo, huile, dessin, gravure, aquarelle, sculpture, …), C C-B sonde la matière dans tous ses états, avide de comprendre, réinterroge le sens des choses à l’aune de notre époque, élabore une pensée emprunte de connaissance, de poésie, de symbolique, d’énergie vitale, d’ouverture, de sincérité. Elle soumet notre regard de sourd à voir ce que nous ne pouvions plus entendre. Elle invite ceux, atteints de cécité, à effleurer son monde tactile pour élargir encore le champ infini de la représentation du monde.
L’interprétation contemporaine de l’architecture présentée par C C-B dans le cadre de son exposition « Ars Architectonica » à la Cité de l’Architecture participe de cette vision ouverte au monde qui nous entoure. Au travers de quelques exemples choisis à partir de l’extraordinaire répertoire de formes, que constitue les collections du musée C C-B nous conduit à ouvrir notre esprit au questionnement et au rêve : par exemple, la colonne torse de l’église Saint Séverin, élément porteur par excellence se mue en « Anti-colonne », en suspension, comme animée du mouvement tourbillonnant de ses génératrices en torsion.
Comment ne pas être admiratif, depuis notre discipline, de cette invention plastique perpétuellement en éveil, qui provoque la pesanteur, déjoue les limites, décrypte l’opacité ?
Remettre la médaille des arts plastiques à C C-B est dans ces circonstances un honneur pour l’Académie d’Architecture et une reconnaissance quasi fraternelle de son travail, que nous espérons vivement voir s’épanouir au plus vite hors les murs, pour notre plus grand plaisir et notre plus grand étonnement.
Texte d'éloge pour la remise du Prix de l'Académie d'architecture - Arts plastiques, Maison de l'architecture, Chapelle du Couvent des Récollets, Paris, 2015.
© Bertrand Dubus