A New York, précisément, comment vous êtes-vous retrouvée dans le Meat Packing District ?

Le moyen de me faire à cette ville, c’était de faire des photos, du dessin et bien sûr de la peinture. Mais le dessin encore plus que le reste. En février je me souviens, il faisait très froid, en me promenant j’avais été dessiner dans ce quartier. Tout est étrange là-bas, les proportions des immeubles sont différentes de celles de l’Europe. Même les boucheries ! J’avais discuté avec des types qui étaient à l’entrée du Meat Packing District, ils m’ont dit « puisque vous dessinez là, entrez donc ! ». Je suis entrée. Je me suis promenée dans des bâtiments où il y avait d’énormes morceaux de viande, des lumières de néons un peu verdâtres, curieux avec cette viande congelée ! Des paysages apparaissaient dans ces formes. Je me suis promenée là-dedans comme dans des images.

 

Vous avez travaillé sur des Indiens, des ouvriers, des « minorités » en quelque sorte. Pour quelle raison ?

Il y a l’idée de témoignage. Pas de s’approprier, mais de témoigner des choses qui me touchent. Les ouvriers d’Outreau, c’est parce qu’en rentrant de New York, j’avais entendu parler d’usines désaffectées dans le nord de la France. Là, ça n’a pas été une usine désaffectée, c’était bien une usine en fonctionnement. A chaque fois, l’immersion dans un lieu qui m’est complètement étranger donne naissance à des images que personne ne connaît, parce que ce sont des lieux qui sont très fermés. L’usine d’Outreau était comme un univers de science fiction. Sans les ouvriers, je n’aurais pas pu travailler dans l’usine, parce qu’il n’y avait pas de résonance. En fait ce sont des lieux qui sont voués à une fonctionnalité. Très vite, vous n’avez qu’une envie, c’est d’en partir, parce que c’est froid. C’est trop fonctionnel. Puis les ouvriers sont venus discuter avec moi, me rencontrer. Même quand j’étais en train de dessiner, il y avait des gens, que je ne connaissais pas, qui venaient à côté de moi et commençaient à me raconter leur vie. Je me souviendrai toujours du grenailleur par exemple. Il y avait un bruit fou. Quand il a eu fini de travailler, il a posé le canon (à grenaille), et je sentais qu’il voulait que je fasse des photos pour que ça sorte de l’usine, alors que je ne le connaissais pas, et qu’on n’avait pas pu échanger à cause du bruit. Il y avait vraiment ce souhait, ce désir que les images sortent. Au sujet des Indiens, c’est moi qui avait le désir de les sortir du vieux musée. Les emmener se promener…

 

Est-ce qu’on peut définir, mettre en évidence un fil directeur, un fil d’Ariane qui parcourrait l’ensemble de votre travail ?

Je dirais … ce qui pourrait être un fil directeur, c’est la lumière. Un lieu est traversé par une certaine lumière qui donne un visage aux choses et les révèle. Peut-être une sensibilité à une lumière particulière. Je n’ai pas de sujet de prédilection.

 

Comment caractériseriez-vous cette lumière ?

Ce n’est pas une lumière franche, une lumière solaire dans un ciel bleu.Souvent ce sont celles d’espaces fermés. Parfois il m’est arrivé de peindre sous des ciels gris, des ciels d’hiver, comme à Paris, à la gare de Tolbiac. Il y a ce froid de l’hiver, un froid sec qu’on retrouve à New York comme à Paris. Sinon, ce sont surtout des univers de néons. Certains disent que ça fait mal aux yeux. Moi, j’aime la lumière du néon.

 

Comment travaille-t-on sur la lumière quand on fait du dessin ?

C’est tout l’art du dessin. C’est même l’essence du dessin. Vous allez observer comment elle vient effleurer le sujet. Et vous allez la transcrire. Si la lumière effleure une partie d’un visage, d’un corps ou d’un objet, l’outil va effleurer la surface du papier. S’il y a une ombre au contraire, s’il y a une rupture, vous allez écraser l’outil sur la feuille. Par cette connivence de l’outil avec le support, qui va déterminer l’intensité du trait, sa vivacité aussi, vous pourrez rendre toutes les nuances de cette lumière et donner une matérialité à la chose vue. La texture est ainsi restituée alors que nous sommes dans un médium à la limite intellectuel. Ce n’est plus une feuille blanche, c’est un espace.

 
 
Exposition Caroline Challan Belval, Peindre dans la chair des mots, Ecole Normale Supérieure, Ulm, Paris, commissariat de Cimaises, janvier-février 2010