Caroline Challan Belval

D'UN SUJET, L'AUTRE - Patrice Giuge


Le travail de Caroline Challan Belval, qui, comme une parole vive, apparaît si libre et désinvolte dans l’air du temps, se lit en réalité avec une certaine attention.

Elle a voulu ici apporter le témoignage de sa lecture personnelle et intime du monde contemporain. C’est pour cela que viennent se superposer, à travers une expression choisie et une rare sincérité, les évènements de la vie qui, dans ses déplacements, ont sollicité sa curiosité d’artiste.

Pour affirmer ce choix, Caroline Challan Belval présente ici 120 croquis à l’encre ou à la pierre noire et un grand dessin au fusain de 45m de long, qui fixe sur le mur le rêve d’une voyageuse endormie… Elle rêve au St Georges de Carpaccio vu la veille à Venise - image éloquente bien sûr, et despotique - mais qui se voit submergée par d’autres instants de vie, par d’autres souvenirs.

Ce sont les ouvriers métallurgistes d’Outreau, les maçons du chantier de Tolbiac, les soudeurs du métro de New York où elle travaillait la nuit, les sous-sol en rénovation de la Cité de l’Architecture à Paris. Il y a aussi les carcasses suspendues des abattoirs de Chelsey Meat Factory et puis des objets de musées, d’autres personnages encore, des voyageurs endormis, un peintre au travail, une lectrice placée là et qui évoque le refrain tant écouté d’Anne Sylvestre, « j’aime les gens qui doutent »…

Ces jaillissements de la vie ordinaire - ou de ses brutalités élémentaires - sont saisis tous ensembles avec une sorte d’acuité qui constituent un portrait singulier et baroque de notre propre modernité. Je pense étrangement ici à la lunette aristotélicienne de Tesauro qui voyait le poète comme seul capable d’établir des rapports entre les objets les plus lointains…
Je pense ici à la lettre de Lisbonne de Valéry Larbaud dans laquelle il s’interroge si notre vie la plus réfléchie et les ouvrages qu’elle produit ne doivent pas autant à l’étude des réalités immédiates qu’à l’érudition et à la rhétorique.

Quant à St Georges, au monstre, au héros, à la vierge offerte, qui est la véritable victime, qui sont désormais les monstres ?

Puis c’est l’aéroport où la vraie vie reprend, où le rêve va se découdre… Plus tard, plus loin, ce travail renaîtra pour révéler d’autres pistes…

Texte écrit pour le catalogue de l’exposition Caroline Challan Belval, Singulièrement, elle butine…, MAMAC, Nice, 2010-2011.

© Patrice Giuge


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